En une vingtaine d’années, nos comportements d’achat ont profondément changé avec l’essor exponentiel du e-commerce. La surabondance des offres rend les parcours clients digitaux de moins en moins linéaires. Aujourd’hui, un consommateur analyse de près les produits, compare les prix, consulte des avis clients, recherche des bonnes affaires… Ces multiples points de contact qu’il rencontre au cours de son parcours d’achat constituent un espace d’informations riche et complexe qu’on appelle le messy middle. Alors, quelle est précisément la nature de ce « milieu désordonné » ? Comment les consommateurs sont-ils influencés dans leurs prises de décision ? Comment les marques peuvent exploiter des biais cognitifs pour mieux vendre ? Éclairage complet.
Qu’est-ce que le Messy Middle ?
Du modèle AIDA à un parcours d’achat de plus en plus complexe
De nombreux marketeurs se sont succédés dans l’histoire pour analyser et cartographier les chemins empruntés par les consommateurs jusqu’à l’achat. En 1898, Elias St. Elmo Lewis formule pour la première fois le célèbre modèle marketing AIDA (capter l’Attention – susciter l’Intérêt – provoquer le Désir – inciter à l’Action) dans lequel le parcours client est présenté sous la forme d’un simple entonnoir d’achat. On retrouve notamment cette matrice en Inbound Marketing avec des leviers d’acquisition spécifiques présentés sur chaque étape du funnel.
Mais, bien que le modèle AIDA semble encore couramment employé dans le monde marketing, il apparaît de plus en plus suranné. La hausse constante des achats en ligne dans le monde a rendu la réalité des parcours d’achat beaucoup plus complexe et confuse.
Il suffit de regarder les analyses d’attribution fournies par des outils comme Google Analytics ou AT Internet pour s’en rendre compte : il y a souvent autant de chemins de conversion que d’acheteurs.
Une évolution des critères de consommation et des facteurs de prise de décision
Pour mettre en valeur ces changements de comportement des consommateurs, analysons un instant l’évolution des tendances de recherche à l’échelle internationale des termes « pas cher » et « meilleur » sur les quinze dernières années, à l’aide de l’outil Google Trends.
Alors que le volume de requêtes comportant l’expression « pas cher » diminue progressivement, le nombre de recherches avec le mot « meilleur » connaît simultanément une forte hausse, avec une étrange corrélation des deux courbes. Ces données suggèrent a priori que le besoin des consommateurs a très largement évolué au fil des années. Dorénavant, ils s’attachent à la qualité plutôt qu’au prix. Cette dynamique s’observe invariablement dans différents pays comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Inde et l’Italie.
L’émergence du concept « messy middle »
Éveillés par ce changement de paradigme apparent, Alistair Rennie et Jonny Protheroe, des experts Google chargés des tendances de consommation, réalisent pendant deux ans une étude sur le processus de décision des acheteurs. Ils se rendent compte que le parcours d’achat n’est pas linéaire. Il dépend d’un ensemble de points de contact qui diffèrent d’un consommateur à l’autre : le messy middle. Ce territoire, complexe et labyrinthique, se situe entre des facteurs déclencheurs et un achat.
Entre ces deux pôles, les consommateurs bouclent indéfiniment entre des états complémentaires d’Exploration et d’Évaluation. L’exploration est une activité expansive au cours de laquelle le client réunit toutes les informations sur les marques, les produits et les catégories pour constituer un ensemble de considération. L’évaluation est une phase intrinsèquement réductrice où, en comparant les produits, le client élimine au fur et à mesure des options.
Durant cette boucle, les consommateurs utilisent une multitude de modificateurs de recherche : « idées », « meilleur », « différence entre », « pas cher », « offres », « avis » et « codes de réduction ».
Ils analysent toutes les informations à travers de nombreux canaux dont :
- Des moteurs de recherche ;
- Des sites de marques ;
- Des sites d’avis ;
- Des sites de partage de vidéos ;
- Des comparateurs ;
- Des médias sociaux ;
- Des forums et des blogs ;
- Des sites de coupons et bons de réduction ;
- Etc.
Pendant toute la durée du processus d’achat, les consommateurs évoluent dans une toile de fond active, l’exposition. Elle représente la connaissance des marques et des produits dans une catégorie donnée et s’exprime sous la forme d’annonces publicitaires, de bouche-à-oreille, d’informations lues dans la presse ou en ligne.
Enfin, l’expérience avec le produit ou service peut alimenter positivement ou négativement l’exposition de la marque, devenir éventuellement un déclencheur d’achat futur ou encore conditionner la fréquence des achats du consommateur.
Au sein de ce messy middle, les marques peuvent gagner ou perdre des clients. L’enjeu pour les marketeurs est donc de pouvoir décoder ce territoire en identifiant les facteurs qui vont influencer l’achat.
L’influence des biais cognitifs sur les comportements d’achats et les prises décision
Les 6 biais cognitifs du webmarketing
Par l’étude des sciences du comportement, les experts Google ont pu isoler 6 biais cognitifs qui influencent significativement la décision d’achat :
- L’heuristique catégorielle. Elle concerne les caractéristiques clés d’un produit qui nous aident à prendre une décision d’achat rapide et satisfaisante. Par exemple, c’est le nombre de mégapixels de l’appareil photo d’un smartphone ou encore la puissance du moteur d’une voiture.
- Le biais d’autorité. Il décrit la tendance à modifier ses opinions ou ses comportements en fonction de l’influence d’un expert averti sur le sujet ou d’une source crédible.
- La preuve sociale. Suivant ce principe, un individu tend à copier le comportement et les actions d’autres personnes dans des situations d’ambiguïté ou d’incertitude. Il se fie ainsi plus facilement aux critiques exprimées par le bouche-à-oreille, les recommandations ou les avis d’autres consommateurs.
- Le pouvoir de l’immédiateté. Il explique le fait qu’un consommateur veut en règle générale son produit maintenant et non plus tard. Ce principe illustre le succès des téléchargements instantanés ou des livraisons en 24 h, voire en 2 h.
- Le biais de rareté. Il repose sur le principe économique selon lequel des ressources rares ou limitées sont plus désirables. La rareté prend généralement l’une des trois formes suivantes : offre limitée dans le temps, quantité limitée, accès limité et exclusif.
- Le pouvoir de la gratuité. Il décrit le fait qu’offrir un cadeau en complément de l’achat d’un produit peut constituer un puissant facteur de motivation pour le consommateur.
La méthodologie de Google : simuler des achats pour identifier l’influence des biais cognitifs
Pour expérimenter l’influence des biais cognitifs sur le processus de décision des consommateurs, Google a réalisé un test à grande échelle auprès de 31 000 acheteurs réels, répartis sur 31 produits de secteurs d’activité majeurs : services financiers, biens de consommation courante, retail, voyages, services publics, etc.
Avant le début de la simulation, les 31 000 acheteurs ont été invités à choisir leurs marques de premier et de deuxième choix. Puis, Google a reproduit 310 000 scénarios d’achat au total en appliquant une série de biais pour déterminer si la préférence de marque était perturbée, et si oui, dans quelles proportions.
Exemple de test : le pouvoir du biais d’autorité
Parmi les différentes simulations effectuées, les experts Google ont notamment testé l’influence du biais d’autorité sur le processus de décision des acheteurs. Les résultats confirment que le biais d’autorité est un moyen très efficace de rassurer les acheteurs, que ce soit par la mention d’une récompense ou par l’avis d’un expert.
Lorsqu’un argument d’autorité accompagne le deuxième choix, on constate que 13 % des acheteurs modifient leur préférence par rapport à l’étape précédente introduisant le 2ème choix.
Ce biais d’autorité s’avère particulièrement efficace dans les catégories où les consommateurs manquent de connaissances et de repères. C’est le cas notamment en ameublement, en rénovation ou encore en électronique. Sans surprise, la simulation révèle également que l’approbation d’une publication connue pour être impartiale a tendance à avoir plus de poids que la critique d’une publication issue de l’industrie.
Comment exploiter l’approche du messy middle en marketing digital ?
Le messy middle concerne toutes les entreprises mais les marques doivent appréhender cette nouvelle réalité de consommation en fonction de leur activité et de leur position sur le marché :
- Si vous êtes leader, considérez le messy middle comme une menace car même les marques bien établies sont vulnérables dans ce tourbillon. Vous devez donc être constamment à l’écoute de vos consommateurs, être attentif à leurs comportements et à leur état d’esprit afin de sécuriser vos parts de marché.
- Si vous êtes challenger, percevez le messy middle comme une fenêtre d’opportunité car les consommateurs ne sont pas attachés ad vitam æternam à une marque. Ils sont prêts à explorer et à évaluer des alternatives, à donner leur chance à des marques nouvelles sur le marché et à perturber les préférences établies.
Présentons maintenant en détails les 4 actions marketing clés à suivre au cœur du messy middle, que vous soyez un acteur leader ou un challenger.
Développez la visibilité de votre marque selon vos différents points de contact
Pour occuper une place privilégiée dans le messy middle et vous mettre en relation avec vos consommateurs dès la phase exploratoire, il est fondamental de développer votre présence digitale sur les différents canaux (moteurs de recherche, réseaux sociaux, comparateurs, blogs, médias, forums…), et ce grâce aux techniques de SEO, de SEA ou de Social Ads.
La notoriété d’une marque leader ne suffit pas si elle n’est pas suffisamment visible sur les principaux points de contacts. Pour les identifier, éviter les modélisations caricaturales évoquées précédemment. En effet, certains leviers concernent plus l’amont du funnel (ex : display), d’autres l’aval (ex : le retargeting) et d’autres, comme le Search (SEO/SEA), se retrouvent indifféremment en phase exploratoire et évaluative.
Utilisez les biais cognitifs et sciences du comportement de façon intelligente et responsable et selon votre position sur le marché
Pour améliorer vos performances digitales (par exemple, le taux de clics de vos campagnes publicitaires ou l’efficacité de vos landing pages), appuyez-vous sur des tactiques marketing comme les avis clients, les campagnes d’influence, les témoignages clients, la mise en avant de la gratuité ou de la rareté d’une offre. Ce dernier biais est d’ailleurs très bien exploité par le site Booking.com.
Les consommateurs cherchent à être rassurés pour étayer leurs décisions d’achat. Veillez à ce que votre message publicitaire soit en phase avec les besoins des acheteurs évaluatifs. Utiliser des techniques comme le retargeting ou les messages automatiques d’abandon de panier pour interagir avec eux et les inciter à revenir explorer votre offre.
Dans tous les cas, adaptez l’intensité du recours aux biais cognitifs en fonction de votre position sur le marché (challenger ou leader ?) et/ou de votre secteur d’activité. On présume qu’une marque installée comme Louis Vuitton aura probablement une utilisation plus mesurée (voire inexistante) des techniques de biais cognitifs. En revanche, des start-ups ou des nouveaux entrants sur un marché en auront probablement davantage recours, n’hésitant pas à les employer au mépris de leurs utilisateurs. Ces méthodes, incluses dans les approches de Growth Hacking, s’accompagnent souvent de la publication de faux avis ou de faux arguments de vente (à l’image de la mention “attention, il ne reste que 3 produits en stock”). Chez Empirik, nous ne recommandons pas ces pratiques qui s’apparentent à du sludge, c’est-à-dire des actions de manipulation intentionnellement malveillantes. Évitez vraiment ces tactiques de pression volontaires car les consommateurs sont rarement dupes et cela peut rapidement se retourner contre vous. Or, une fois perdues, la crédibilité et la confiance sont très difficiles à regagner.
Réduisez au maximum la fenêtre entre le facteur déclencheur et l’achat
Lorsque des consommateurs explorent et évaluent une offre, vous avez tout intérêt à réduire la charge cognitive qu’ils subissent en recourant aux biais cognitifs. De cette manière, vous accélérez le processus d’achat et évitez la comparaison de votre offre avec celle de vos concurrents.
C’est pourquoi, il est fondamental d’améliorer constamment l’expérience utilisateur sur vos outils, et sous toutes ses formes, car un acheteur satisfait est généralement un acheteur qui revient. Évitez donc tout type d’obstacles entre vous et le consommateur comme :
- une faible vitesse du site (surtout sur mobile) ;
- des messages publicitaires incohérents ou peu clairs ;
- des informations manquantes dans vos fiches produits ;
- une navigation peu intuitive avec des options d’achat limitées, etc.
Par ailleurs, le délai de décision est fortement influencé par le panier moyen du produit ou du service : plus celui-ci est élevé, plus l’internaute passe du temps à comparer plusieurs offres.
En attendant l’achat final, proposez des actes de conversions intermédiaires (appelées également micro-conversions) : une inscription à une alerte, la création d’un compte ou l’ajout en favori d’un produit. Si vous respectez strictement les règles du RGPD, vous pouvez aussi vous appuyer sur l’adresse e-mail collectée pour envoyer des informations personnalisées.
Enfin, au niveau analytics, les micro-conversions sont des indicateurs intermédiaires précieux entre la simple session et la conversion finale pour évaluer plus précisément l’impact d’un levier marketing.
Mesurez en permanence les évolutions de comportements
Les consommateurs en ligne ont tendance à adopter un comportement versatile car leurs goûts, leurs modes de consommation, leurs valeurs évoluent dans le temps. De fait, ils sont de moins en moins attachés à une marque.
Alors, pour continuer d’être à l’écoute de vos consommateurs et de leurs besoins, il est fondamental de s’appuyer sur les outils de collecte de la voix du client : analyse des comportements de recherche sur les moteurs, analytics, A/B Testing, sondages en ligne, etc.
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